Zhuang Zi – Le boucher de Ding

Peinture représentant Zhang Zi.

Cet espace vous est spécifiquement consacré dans le but de pouvoir vous perfectionner et de suivre l’évolution des méthodes enseignées par Dominique Jacquemay.

  >Cours en ligne (tous les mardis soir de 18h30 à 20h)

Mon interprétation

Lorsque le boucher du prince Wen-Houei dépeçait un bœuf ; ses mains empoignaient l’animal, de telle sorte que son épaule le retenait, ses pieds étaient ferment encrées au sol, ses genoux l’enserraient l’immobilisant.
Il enfonçait son couteau sans effort, méthodiquement, tranchait les chairs, disjoignait les articulations à un tel rythme qui évoquait les célèbres musiques de la « danse du bosquet des mûriers » et celle « rendez-vous de têtes au plumage».
(1) Nous voyons ici et nous allons voir dans la suite du texte que le boucher de Ding est dans le dao et qu’il en applique les principes. Ce qui retient notre attention et le mot “sans effort”, il est dans le lâcher-prise, dans la mouvance de l’action, elle lui est acquise.
Le mot “méthodiquement” montre qu’il est dans une plein présence, absorbé par ce qu’il fait, tel un rituel où le profond respect prend place. La notion de rituel fait partie de la pensée confucéenne encrée dans la Chine.
Le texte dit, le couteau tranchait les chairs, disjoignaient les articulations. Est-ce vraiment le couteau qui agit ? Dans ce cas, le boucher de Ding s’implique totalement à l’action. Le boucher prend part à l’action en mobilisant la pièce de bœuf avec son corps.
Le mot “comme en mesure” nous donne l’idée du bruit, du rythme régulier, comme si le boucher se transformait en musicien dans la partition lui est parfaitement acquise.

– Je suis stupéfait de votre habilité, comment votre art peut-il dégager une telle subtilité ? Exprima le prince qui l’observait.
Ici, nous comprenons que si le boucher est dans le dao et à amené son art à la perfection, le prince qui semble être attentif à son personnel a la capacité de reconnaître ce degré d’habilité. 

Le boucher déposa son couteau et dit :
– Tout mon art, consiste à n’envisageait que le principe du découpage. Le boucher a acquit la maîtrise de son art, son esprit est totalement libre, il peut s’exprimer son talent intuitivement. Ce sens naturel est appelé ziran. C’est-à-dire que la spontanéité se manifeste.
Il est totalement traversé par le dao, à l’image du calligraphe ou du peintre chinois dont le geste spontané est la manifestation du qi. Là, réside la beauté. J’imagine que le prince est subjugué par l’aisance du geste, par les mouvements de qi. Il s’agit bien là d’un qi gong (travail du qi).

Lorsque je débutais, je ne voyais que le bœuf. Après trois années d’exercice, le bœuf n’apparaissait plus a ma conscience. Ici, notre boucher mentionne l’expérience, la notion de répétition, de patience. Aussi, plus sa pratique s’est enracinée, plus, il va à l’essentiel. Il y a un dépouillement, une exactitude. Là aussi, nous pouvons y voir un rapport avec le Qi Gong, la pratique mène à l’essentiel, au dépouillement du geste qui devient primordial. Il y a unité du geste, du souffle de l’Esprit (shen).
À présent, mon esprit opère plus que ma vue. La vue, n’est plus la vue, elle devient une vision intérieure, celle du Pur Esprit.
Je n’ai plus en l’esprit que le principe. C’est-à-dire le dao. Je m’attache aux lignes naturelles du bœuf, la lame suit les interstices, sans rien détériorer. “sans rien détériorer” fait référence à nourrir la vie yang sheng. Le couteau pénètre et divise, suivant les veines, les tendons, tranchant les chairs molles, contournant les os.
Lorsqu’un nœud apparaît, je le suit naturellement, me met en retrait et agit avec une extrême patience pour le découper. Séparer les parties se fait comme un peu de terre que l’on dépose au sol. Ici, nous pouvons voir un enseignement pour nous-même, s’adapter aux situations, aux difficultés comme le fait le boucher de Ding. Cette finesse d’exécution et sa faculté de contourner lui donne la réussite de sa découpe.
Le couteau que j’utilise ne s’attaque pas aux parties dures. Un débutant use un couteau par mois parce qu’il ne découpe que la chair. Un boucher médiocre, use un couteau par an parce qu’il le brise sur les os. Ici, il est question d’expérience, mais aussi d’écoute à la tâche qui s’exécute.
Il est intacte depuis dix-neuf ans, comme s’il était aiguisé de neuf. Il a dépecé plusieurs milliers de bœufs. Le couteau a une valeur au yeux du boucher et la pièce de bœuf ont une valeur, il est attentif à ces deux aspects. Il y a non seulement un grand respect mais de l’amour de son métier et donc, de la vie, il se met à son service.
En dernière instance, je retire mon couteau et me relève ; je regarde de toute part et me divertis de-ci et de-là ; je remets alors mon couteau en bon état et le rentre dans son fourreau. Le boucher obtient une satisfaction des choses bien faites, il est libre. Il respect l’instrument de son action.
–  Bien, dit le prince Wen-Houei. Après avoir entendu les paroles du boucher, je saisis l’art de me conserver. Et de conclure, le prince retire un enseignement précieux pour lui-même. Il sait qu’il est face à un grand maître du dao.

Zhuang Zi – Chapitre 3. Entretien du principe vital

Le boucher de Ding

庖為文惠君解牛,手之所觸,肩之所倚,足之所履,膝之所踦,砉然嚮然,奏刀騞然,莫不中音。合於桑林之舞,乃中經首之會。

文惠君曰:「嘻,善哉!技蓋至此乎?」

庖丁釋刀,對曰:「臣之所好者道也,進乎技矣。始臣之解牛之時,所見無非全牛者。三年之后,未嘗見全牛也,方今之時,臣以神遇而不以目視,官知止而神欲行。依乎天理,批大郤,導大窾,因其固然。技經肯綮之未嘗,而況大軱乎!

良庖歲更刀,割也;族庖月更刀,折也。今臣之刀十九年矣,所解數千牛矣,而刀刃若新發於硎。彼節者有閒,而刀刃者無厚,以無厚入有閒,恢恢乎其於游刃必有餘地矣,是以十九年而刀刃若新發於硎。雖然,每至於族,吾見其難為,怵然為戒,視為止,行為遲。動刀甚微,謋然已解,如土委地。提刀而立,為之四顧,為之躊躇滿志,善刀而藏之。」

文惠君曰:「善哉!吾聞庖丁之言,得養生焉。」

Lorsque le boucher du prince Wen-Houei dépeçait un bœuf ; ses mains empoignaient l’animal, de telle sorte que son épaule le retenait, ses pieds étaient ferment encrées au sol, ses genoux l’enserraient l’immobilisant.
Il enfonçait son couteau sans effort, méthodiquement, tranchait les chairs, disjoignait les articulations à un tel rythme qui évoquait les célèbres musiques de la « danse du bosquet des mûriers » et celle « rendez-vous de têtes au plumage».

– Je suis stupéfait de votre habilité, comment votre art peut-il dégager une telle subtilité ? Exprima le prince qui l’observait.

Le boucher déposa son couteau et dit :
– Tout mon art, consiste à n’envisageait que le principe du découpage.

Lorsque je débutais, je ne voyais que le bœuf. Après trois années d’exercice, le bœuf n’apparaissait plus a ma conscience.
À présent, mon esprit opère plus que ma vue.
Je n’ai plus en l’esprit que le principe. Je m’attache aux lignes naturelles du bœuf, la lame suit les interstices, sans rien détériorer.  Le couteau pénètre et divise, suivant les veines, les tendons, tranchant les chairs molles, contournant les os.
Lorsqu’un nœud apparaît, je le suit naturellement, me met en retrait et agit avec une extrême patience pour le découper. Séparer les parties se fait comme un peu de terre que l’on dépose au sol.
Le couteau que j’utilise ne s’attaque pas aux parties dures. Un débutant use un couteau par mois parce qu’il ne découpe que la chair. Un boucher médiocre, use un couteau par an parce qu’il le brise sur les os.
Il est intacte depuis dix-neuf ans, comme s’il était aiguisé de neuf. Il a dépecé plusieurs milliers de bœufs.
En dernière instance, je retire mon couteau et me relève ; je regarde de toute part et me divertis de-ci et de-là ; je remets alors mon couteau en bon état et le rentre dans son fourreau.
–  Bien, dit le prince Wen-Houei. Après avoir entendu les paroles du boucher, je saisis l’art de me conserver.

Qui est le sage ?

Le boucher a un grand respect de l’animal, par sa profonde attention, il lui rend honneur, il le “fait vivre”. Il nourrit par son esprit d’attention et de pleine présence le principe vital. Il applique avec délicatesse, avec une infinie sensibilité la pointe du couteau, contourne les nœuds, comme un voyage qui a maintes fois parcouru et dont il connaît tous les aspects : les nefs, les veines, les os. Le couteau est plus qu’un instrument, c’est un allié, il est une prolongation de son corps, de son Esprit shen.

Le prince est un être éveillé et donc attentif. J’irais plus loin, en m’aventurant à dire qu’il est également dans le dao, dans le raffinement par sa vision aiguisée. Sinon, le prince aurait pu passer sans voir la beauté du geste, sans voir sa précision. Il prend totalement part à l’action, dans un mouvement de la vie.  Il a ce supplément d’âme qui lui permet d’observer la scène, de l’apprécier. Il reconnaît la valeur du boucher, son art, sa dextérité, alors qu’en temps normal, le boucher pourrait être considéré comme un subalterne. Ici, le prince se met, en toute humilité en arrière plan de la scène. Il y a un effacement de l’ego, il est dans le dao. À la fin de l’échange, il mentionne même avoir appris du boucher.

Nous pouvons conclure qu’il y a une synergie, une harmonie fondé sur le respect et sur l’écoute. Comme si le prince respirait avec le boucher, suivait chaque mouvement, entendait les sons inerrants à la scène et qu’il en appréciait chaque instant. Car, tant le boucher que le prince sont dans le présent suivant comme dit le texte la “danse du bosquet” dans sa splendeur. L’acte qui devrait être banal est alors ritualisé, fait qui se cristallise lorsque le boucher range son couteau, avec un précieux respect, comme un trésor. 

Qui est-il  Zhang Zi ?

> biographie de Zhang Zi

Dominique Jacquemay (c) 2020 – Professeure en Qi Gong.

Interprétation du texte reste personnelle.
Auteure du livre “Qi Gong des Animaux Mythiques” Éditions Guy Trédaniel.

Dominique Jacquemay

Directrice d’enseignement et professeur principal

Professeur de Qi Gong formée en Chine, aussi diplômée en Médecine Chinoise (Université de Shanghaï).
Elle a suivi les enseignements de nombreux Maîtres chinois.
Enseigne depuis plus de 30 ans les arts énergétiques.
Elle a également une longue pratique de méditation. Une pédagogie novatrice, accompagne chacun afin :
– D’évoluer avec des acquis profonds et obtenir de réels bienfaits pour le corps et l’esprit ;
– De placer son souffle dès les premiers cours de façon précise sur chaque mouvement ;
– D’acquérir plus de fluidité et d’enracinement dans son corps ;
– De partager des moments ponctués d’exercices inter-actifs entre participants, mis au point par Dominique Jacquemay. Les Qi Gong enseignés sont traditionnels.
Pour préserver l’esprit originel et favoriser le calme du mental et la pleine conscience, la pratique se fait sans musique.

à propos
Avec le temps et la patience, la feuille de mûrier devient de la soie.
Lǎo Zǐ

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